Chris Marker et le collage



Quelques notes sur Chris Marker et le collage

Le collage, ce n'est pas seulement des bouts de papiers découpés et assemblés pour créer une autre image, imprévue, ce qui est l'ouverture surréaliste sur le monde ; le collage, c'est plus généralement assumer la rencontre fortuite, l'accolement, la juxtaposition, la concaténation d'éléments disparates, assumer ces disparités, et proclamer que le résultat est UN et INDIVISIBLE.
Ces éléments peuvent être tout, son, mots, qu'importe.
On sait que le cerveau n'accepte pas l'absence de sens, et en construit un coute que coute, comme l'eau épouse la forme de n'importe quel interstice et cavité.
Le cinéma dans sa version commerciale nous dit toujours le contraire, lui qui essaie de nier l'impossible et de créer des liens artificiels entre des scènes, sorte de collage certes, mais concerté, qui ne laisse rien à l'agrandissment du monde.... Ce même cinéma commerical nous impose ses figurines qu'on devrait accepter : Depardieu EST Obélix, cet imbécile de scientologue de Tom Cruise EST un héros et moi ? je suis la Reine des Pommes ?
Le cerveau considéré ici comme un bloc, un caillou : on ne lui demande pas de s'adapter, le réalisateur s'adapte à son comportement moyen, standard (pour un moment, une population donnée).
C'est un pacte passé avec le spectateur, un pacte comme un autre.

Alors que le collage, c'est le contraire : c'est chercher le disparate pour que l'assciation faite par le spectateur, inévitable, soit au si imprévisible qu'inacceptable & violente.

Alors, La Jetée est il un film de collage ? 

Parce que le spectateur est invité à reconstitué les mouvements, les lieux et scènes manquantes. 
C'est là un pari extraordinaire: le film qui offre la continuité est présenté en suite d'éléments uniques, en diapos. C'est un collage temporel : les photos, éléments uniques, atemporels, fixes, sont mis dans une séquence temporelle : la durée du film, et le spectateur est forcé de suivre ce temps troué.

On peut dire que ce n'est pas une signature de Marker, il a fait beaucoup d'autres films avec des séquences filmées. 
D'ailleurs, il faudrait être assez simplet pour attendre de quelqu'un d'indépendant qu'il fasse d'une technique aussi sommaire (en apparence) un modus vivendi.





 En revanche, ce procédé revient dans SI J'AVAIS QUATRE DROMADAIRES — chef-d'œuvre, chef-d'œuvre, chef-d'œuvre, chef-d'œuvre, chef-d'œuvre, chef-d'œuvre, chef-d'œuvre, chef-d'œuvre, chef-d'œuvre — sous une autre forme dans OUVROIR (1990), où il s'agit d'un parcours dans une exposition, exposition virtuelle, puisque réalisée dans Second Life. 

Ici, peut-être que les diapositives successives se justifieraient d'elle-même grâce au parcours de l'exposition ? 
Oui mais. 
Ce film n'est pas un livre, pas une exposition, mais un parcours imposé dans le temps par Marker à partir d'éléments atemporels : ses photos, et, cette fois-ci, ses collages.

La réalité, même si elle n'existe pas, est la grande préoccupation du documentariste. Et Marker, qui se pose en témoin ("On vous parle du Chili", "on vous parle de Prague") montre la réalité.
Et le documentaire passe un autre pacte avec le spectateur, celui de l'effet vérité. Mais Marker (sans le vouloir d'ailleurs, il a dit avoir fait des photos pour la Jetée, faute de moyens) enlève ce contrat : il ne s'agit plus de vérité, mais de pensée. 
Car en défaisant le pacte du cinéma animé, Marker offre un espace de pensée au spectateur : il n'y a plus de fiction, et on est pas là pour se faire embobiner. On est là pour considérer notre état au monde.
C'est pour cette raison que tous les imbéciles, suiveurs et autres fans de Marker parlent de philosophie — sans avoir la moindre idée de ce que cela peut être. En fait, Marker pense en cinéma, pense avec le cinéma. Et c'est tellement rare que c'est associé à la philosophie, le dernier endroit où l'on pense, comme chacun sait.. On a donc une lecture temporelle subjective d'éléments hors temps, d'où le caractère touchant, humain, qu'il provoque. Parce que dans ces interstices, l'espace mental entre les photos, comme l'espace entre les éléments collés sur la feuille, se glisse la musique, la grande chérie de Marker, qui fait le LIEN.