Les rasoirs de Mademoiselle Dujambe.

   Elle qui n'aime pas s'épiler, Melle Dujambe, là voilà aux prises avec un rasoir spécial : le rasoir sélecteur de poils. En effet, Roger (c'est son nom) ne coupe pas tout. Par exemple les petits duvets doux, il rechigne : pas son style, prétend-il. Il aime la lutte, l'effroi du grand pilos qui se tortille pour l'éviter. Et puis les blondes c'est pas son truc. Ca n'a jamais été son truc.
    Alors, Melle Dujambe qu'a des poils plein les pattes, elle est sérieusement mal tombée : blonde, avec des petits poils menus, brillants à la lumière, mais rien comme des grosses lianes noires qui exciterait Roger, ça non. La voilà donc qui passe et repasse Roger sur ses tibias. Et passe, et repasse. Mais rien n'y fait, vraiment rien.
   "Aaaaah mais c'est une brique, ce rasoir".
    Et elle le jette rageusement. Elle farfouille dans le paquet (un paquet de 5, ça va, elle a de a marge), et se saisit d'Antoine, un grand timide, un peu cœur d'artichaud. Et là c'est l'amour. Elle ne lui confie plus seulement les parties visibles, mais les invisibles, les intimes.
      Oui oui.
    Avec douceur, avec amour, Antoine module son tracé, sa force (quel lion, quel agneau !) Et jamais ne la coupe, Melle Dujambe.
   Jusqu'au jour malheureux ou Tony, le brun Tony qui est venu dormir à la maison, le matin s'empare d'Antoine et horreur, le plaque sur son papier de verre qui lui tient lieu de joue, et c'est la mort d'Antoine.