Prendre de Plus Loin


Potraviny
(épicerie, besoins élémentaires, alimentation, en tchèque)
Potraviny est un groupe informel de réflexion et de développement sur la notion de non-professionnalisme et de non séparation des activités créatrices. Certains artistes célèbres, tels que Picasso, Dubuffet, Svankmajer, Wölfli (et beaucoup d'autres), n'hésitaient pas à franchir les frontières des disciplines, à faire aussi bien des films, des textes, de la musique, etc. pour servir un but plus lointain, et plus vaste.
Potraviny propose en outre des rubriques d'enquêtes, d'articles sur des artistes, d'interviews, des mises en ligne d'œuvres rares.
- des créateurs qui s'investissent dans d'autres domaines que le leur (mais pas via la collaboration), par une pratique double, triple... Cette pratique n'est pas celle d'un "surdoué" qui aurait fait les beaux-arts, le conservatoire et une école de cinéma, mais au contraire celle de celui pour qui le mélange des moyens d'expressions va de soi, et qui le fait en-dehors de toute école, tendance, technique... Le but est de stimuler des positions, des réflexions, des actions dans ces domaines, ou pour être plus précis : dans le croisement des domaines opéré par un seul individu, dans son attitude face au monde extérieur comme à sa nécessité intérieure.
- toute personne qui a des positions sur la relation entre les arts et la politique, les arts et la société.
- des témoignages, exemples, de productions artistiques marginales, ou au moins des activités artistiques non soutenues par les institutions ou l'industrie dite culturelle (le DIY par exemple)
Potraviny ne défend pas de position esthétique, et ne s'intéresse au résultat esthétique que secondairement. Du reste, la pratique artistique n'est qu'une partie de cette recherche, qu'on peut croiser en architecture, en psychanalyse, en écologie, etc.

Potraviny, concrètement, en plus du groupe de personnes, se propose d'être :
- un site/revue, qui comprend :
les interventions directement liées au sujet, sous forme d'articles, de films; de présentation d'objets, d'images, de films, d'événements, ....
des enquêtes : afin de mesurer, au moins imparfaitement, localement, les courants d'idées, les positions sur différents sujets. La première enquête, en cours, s'intitule, classiquement : "pourquoi écrivez-vous ?"
une base de données, sous forme de textes, partitions, films, images, liens, contacts.
des compte rendus d'enthousiasme : compte rendus d'œuvres qui ont émerveillé.
Dans un second temps, Potraviny pourra ambitionner d'organiser des événements, des rencontres, des colloques, des publications.



Notes de travail
Le déplacement, la séparation
Supposons que la séparation générale des activités, entre le compositeur, l'écrivain, l'interprète, le créateur, l'auditeur, le spectateur, le lecteur, soit la source essentielle du manque de rayonnement de la création aujourd'hui.
C'est qu'une spécialisation extrême crée des frontières épaisses, aussi infranchissables aux autres artistes et créateurs d'autres disciplines, qu'aux auditeurs, spectateurs ou lecteurs.
Notre civilisation industrielle, rationnelle, utilitariste, hyper-commerciale cherche l'excellence, la spécialisation, la qualité indiscutable qui pourra être partagée par le plus grand nombre. Or l'acte authentiquement créatif en général– me parait absolument contraire à cette perspective : non seulement il est perpétuellement discutable, mais il est aussi tellement indiscutable qu'il ne peut pas plaire à tout le monde. On peut même dire qu'il ne peut plaire qu'à très peu de monde, on peut même dire qu'il n'est pas là pour plaire à qui que ce soit. Il produit des actes et des objets non échangeables, non remboursables, non prévisibles... En gros, ils sont extraordinairement inaptes au monde actuel. On peut, dans cette perspective, les chercher là où ils se manifestent le plus sûrement ; ce n'est certes pas à la télévision, qui est depuis longtemps la proie du commerce dans sa version pornographique, jamais dans les galeries, qui, sans aucun scrupule, mesurent la valeur d'un artiste à son potentiel commercial, et rarement dans les salles de concert, ou au conservatoire : n'est-il pas difficile de concilier les exigences artistiques et créatrices avec les contraintes (notamment financières) de production ?
Pourtant, des exemples existent, de personnes, de groupes, de genre dont l'activité (du moins ce qu'on peut en percevoir de l'extérieur) n'est tributaire d'aucune école, d'aucun mot d'ordre social, dont l'activité semble être née d'une impérieuse nécessité intérieure, comme l'absorption d'air ou de nourriture.
C'est à l'art brut, certainement, à quoi je veux faire référence.
Ce « commerce intérieur », passage d'aliments mentaux, cette épicerie intérieure, intime, peut être thérapeutique, comme pour Adolf Wölfli, soit qu'elle contribue à l'équilibre intérieur, (comme le Tchèque Karel Havliček, qui dessinait tous les jours pendant 2 heures, et qui, si les circonstances l'obligeaient à sauter un jour, dessinait 4 heures le lendemain), soit qu'elle établisse un lien entre l'auteur et un monde transcendant, un « Dieu » par exemple, ou le royaume des morts, pour les artistes médiumniques, ou l'inconscient, les souvenirs, les obsessions… pour tout autre créateur travaillant sur son fond propre.
Potraviny : Il s'agit bien, en dernière analyse, d'un déplacement, du glissement imprévu d'une activité vers une autre, qui permet cette libération.
Ce geste de libération, plus tard, se cristallise en obsession.
Jean Dubuffet, qui à soixante s'est mis à produire une musique extraordinaire, étonnante, et tous les artistes bruts qui sans l'ombre d'une ambition sociale, financière, (et parfois même sans besoin de reconnaissance narcissique) ont réalisé les plus magnifiques temples l'ont fait au prix d'un déplacement, du passage de leur activité principale vers la découverte d'un moyen d'expression, fut-il écrit, peint, sculpté, chanté, ou tout autre.
Potraviny, l'épicerie interne, le commerce avec ses propres besoins, avec ses propres obsessions, et non avec ceux dictés par une convention, une technique, une carrière ou un goût de l'époque, est un droit de naissance, un élan vital.
Cette épicerie interne s'oppose à celle, externe, de collaboration. On ne discutera pas des mérites ou des failles de collaborations artistiques, on se bornera à marquer la différence essentielle : celui qui fait plusieurs choses à la fois s'interdit, de fait, d'atteindre la perfection technique et formelle dans chaque domaine, mais s'autorise à y puiser une énergie et une appropriation qui fait passer la fin au-dessus des moyens.
Potraviny s'intéresse à ceux qui ont une activité créatrice personnelle, en dehors de toute préoccupation sociale, dans un autre champ que leur activité « officielle » ou habituelle.
On distinguera l'artiste naïf de l'artiste brut : le naïf admire les œuvres du passé, du répertoire, et, le dimanche après midi, s'emploie à les imiter, plus ou moins consciemment.

Au contraire, Potraviny s'intéresse à ceux qui peuvent être « artistes » dans une discipline, mais qui cherchent et s’expriment dans une ou plusieurs autres. A tous ceux (« artistes » ou non artistes) qui développent leur imagination dans un domaine librement. La pluridisciplinarité n'est qu'une étiquette fatiguée pour réunir des artistes et leur faire se cogner la tête les uns contre les autres. Le déplacement est une tout autre entreprise, qui cherche le lâcher-prise, la surprise, l’émerveillement, qui crée du pluridisciplinaire par essence, mais dont les liens entre les médias seront mystérieux, car fondés sur des mécanismes inconscients, subconscients ou spontanés, et non pas des ficelles d'organisation en commun, des programmes créatifs volontariste et encore moins des recettes de production.
Ainsi, il s'agit d'approfondir le lien magique, analogique et synesthésique, entre les activités, tel qu'un seul individu peut le manifester, et non développer une œuvre protéiforme, ni de dire la même chose en vers ou en prose, par insistance. La dimension production esthétique est secondaire. Il ne s'agit pas de répétition voulue entre les domaines, mais de liens inconnus. Dans cet espace ne peut se glisser que l'inconscient.
déplacement :
sur le principe
qu'on se trompe toujours d'activité.
ou encore qu'il faut être infidèle à son activité.
ou qu'il faut tromper son activité.
qu'une activité n'est que la partie émergée de notre iceberg, et qu'il faut le secouer un peu pour en trouver des faces cachées. A soi même.

qui sont les artistes, créateurs et poètes, du passé qui correspondent à cette quête :
- Jean Dubuffet avec la peinture, l’écriture, la musique
- William Kentridge, entre le dessin, le fusain, et le film d'animation.
(la mise en scène d'opéra, chez lui comme chez tous les metteurs en scène d'opéra, et pour des raisons essentiellement sociales, me parait obéir à des contraintes bien extérieures)
- Pablo Picasso entre peinture, sculpture et poésie
-André Breton entre les poèmes et les poèmes objets
- Karel Teige entre le dessin, la typographie, les collages, l’architecture,
- Henri Michaux, poésie et dessins/peinture
- Jan Svankmajer entre les films, les collages et les objets
-Adolf Wölfli entre le texte, la musique et le dessin. - et la folie. ceci est propre à beaucoup d'artistes brut.
-Christian Dotremont entre la poésie, les logogrammes, les dessins..
-Asger Jorn entre la peinture, la céramique, les objets, la critique, le football
- John Cage avec la musique, la poésie, le dessin, la cuisine, la performance.
etc.

les relations de l'art avec la société.
Aspects développés notamment dans la rubrique : enquêtes
Une des tendances récentes de la musique d'aujourd'hui est d'être essentiellement défendue, soutenue par des institutions gouvernementales. Quelles sont les possibilités, les conditions pour une pratique artistique non commerciale en dehors des états ? Comment l'artiste peut-il se positionner ?
Par exemple, la vieille contradiction : comment peut-on aujourd'hui être adornien, c'est-à-dire résister à une idéologie dominante, libérale ou autre, et en même temps ne produire que par des subventionnements politiques, dans des contextes protecteurs et aussi inhibiteurs ?
témoignages, documents, œuvres.
Mise en ligne, mise à disposition, collecte d'œuvres répondant aux critères ci-dessus.


music, notation, from heavens to history, back to the cloud.


The first main historical articulation in western music is the apparition of notation. Let's not try to fix an exact moment in time, an exact location, nor its conditions neither its internal evolution. Let's just consider the general changes it implied.

It's generally accepted that the notation — (music notation, and any kind of language notation) —  allows sharing, comparing, transforming, elaborating.
In the case of music, the time before notation can be called the Orphic period: music was transmitted from one to one, this individual being half deified, in possession of a special power. This power was connected to magic, to gods, to charms. One can think of the bard, of the singing ladies in Africa when one passes away to have living examples of this conception.
That's why catholic Church kept suspicion on music for such a long time: it was suspected to be either too sensual (made for the entertainment of the crowd) or pagan: a contrepower to Jesus one. Music, before being written, was a divine power. The first musician had magic powers, and he was the only one to have it. Given by gods, music was to come to certain persons, exclusively. Music and musicians, therefore, were not questionable, they were superior.  Before music was writable, notated, it had to be thought as a a-historical art: a dangerous a temporal magical apparition which could put crowds in trance. Time, evolution, comparison and hierarchy was not in use.

The apparition of notation is the start of the critical historical period, in which music falls from the Heaven to the mass of humans, ready to absorb it, copy it, analyze it, discuss it, change it, sign it. Music falls from the hands of God to the hands of the craftman.

This switch is the start of the notion of humanization of music, the authorship, the artist as a human living being. From there, the nostalgia of the first period is an easy path : the romantic artist will emphasize the connection between him and God, or at least the infinity, the transcendence. Liszt and Wagner for instance consider the artist to be the interface between the people and God, and music is the tool for that communication, under the name of GENIUS.
For Liszt, this genius goes through the path of virtuosity, the virtuoso being the assessor between mortality and deity. The construction of the Wagner personality cult is based on this nostalgia of the transcendent, para religious and superior role of the artist.

But since the beginning of the XX° century, when the industrial revolution starts to become the technological revolution, we are now leaving this critical historical period. The notation in music is not the central point of work for artists, neither it is the pivot in evolution of musical styles anymore. The musical score, which has been for centuries the main medium for music propagation, for the establishment of styles, for the teaching processes is now considered as a burden, a heavy tracing tool which can more easily and practically be replaced by video, and all the digital devices of producing music.

One side effect of the dissolution of the music score as a main media for transmission of music, is the reification of the score.
More attention is given to the conventional signs, which are so complex and peculiar that they are all but conventional.
The preface of the score can also grow and take more and more importance, when the actual staves are not strong enough to support all the information.

Clearly, the traditional notation has made its time, and its practical tonal emphasis on pitches and rhythms are just not appropriate anymore.
Everybody who wants to have a precise timber evolution with a bow, for instance, or notate the extraordinary potential of the sounds of the bow on the strings faces incommensurable difficulties.

Lachenmann string quartet. the notation emphasizes the timber evolution.


Therefore, the complexity of the notation raises, and becomes less and less sharable.
Each composer, even each score develops its own conventional system, (consistent or not).

That is exactly the opposite of notation: it's cryptic and requires a new reading learning each time.

And to go a bi further in this direction, this complexity, or at least the graphic potential as well as the musical developments don't need to coincide nymore, the score becoming an independant object, a work by itself.
Instead of concentrating its tools to the realization of the musical project, the score becomes a selfcontent object, a fetishized score.



Brian Ferneyhough, Unity Capsule




The hierarchy between professional musicians, listeners, producers is more and more disappearing, and is replaced by a cloud, fundamentally digital, and superficially manifested as a network. It's never been so easy for non musical readers to produce complex music, by the only use of alternative languages, proposed in the music softwares. Another symbolization of the music parameters than the traditional notation, simplified, but directly accessible, non to be read but to be assembled, distorted, through the visual interface tools: stretching the sound shape stretches the duration of the sound, etc.
The network which before was music schools, ensembles, orchestras, concert houses, opera houses, churches, is now the computer, the internet, some concert halls, festivals, clubs, and more specifically the different operators and distributors of music: youtube, Spotify, Facebook — all the rapidly changing and adapting the general movements.

This period replaces the perspective in historical critical view by a systemic and structural thought.
Technology gives us new powers: a feeling of ubiquity (we can see, listen and communicate with any part of the world where we are not physically present). We now can listen to music which is not performed at the same moment, neither at the same place, not even by LIVING musicians.
A good illustration of the drama carried by technology in the relation to the world in the 50s is the formal refusal of traditional Indian musicians to record their performance, because their music (ragas) is to be performed at certain hours of the day and not others. To play this music at another moment of time might disrupt the normal course of the universe.

As folklorist this vision can seem today, one must not underestimate the beliefs that underlined the roles, functions and meanings of music. Exorcisms, ritual dances in shamanism, were sociological and cultural structural elements, not decorating superfluous entertainments.

And now that with technology everyone is able to produce music without notation, and the networks make it possible to spread music all over without any pressure from a social group, (no professionality needed), we are slowly turning back to the orphic conception of music: ubiquity, no authorship, divine power, eternal life of the artist, universality of the message...